jeudi 24 mai 2012

La mécanique des Geishas, Fabrice Vanneste


La mécanique des Geishas, Fabrice Vanneste, Edd Strapontins

Fabrice Vanneste: Rencontre avec un auteur "détonnant"
"J’écris, tu écris, il écrit, nous écrivons tous… des notes, des textes en poésie ou prose. Pour laisser une trace, expatrier notre mémoire, pour qu’elle se rappelle à notre bon souvenir. C’est un peu ça écrire… Sauf que lorsqu’on travaille sur un roman, on y met les formes, on terre des choses entre les lignes, on les enfouies pour mieux les taire, par jeu, censure ou pudeur… On est plus rigoureux, plus anxieux, plus retors…" F.V.

Les origines
A l’origine de La mécanique des geishas il y a un décor… un tunnel. Sombre. Longue caisse de résonnance aux échos métalliques. Je trouve l’idée de repérer l’origine d’un roman, assez prétentieuse, à vrai dire. Je me rappelle avoir pris des photos de ce tunnel. J’ai même la date précise du shoot. Mais est-ce la véritable origine de mon roman ? Ne serait-ce pas plutôt ce jour où j’ai découvert, à sa sortie en salle, le film de Kurosawa, Rêves… Dans ce « film à sketches », de souvenirs, on y découvre l’histoire de l’âme d’un soldat mort pendant la seconde guerre mondiale, qui erre, coupable de la mort des hommes de son bataillon. L’action se passe sur l’espace restreint de l’embouchure d’un tunnel. Un autre rêve de ce même film est d’ailleurs très important, celui de la fête des pêchers. Etrangement il m’est revenu bien après avoir écrit le livre. Et pourtant… ce folklore est une notion fondamentale de l’intrigue. Serait-ce donc l’origine de La mécanique des geishas, ou ne serait-ce pas plutôt adolescent, lorsque j’ai acheté puis dévoré Confession d’un masque de Mishima ? C’est à travers ce livre que j’ai réellement ouvert une lucarne sur le Japon, le Hagakure à travers ses écrits sur l’éthique samouraï… où lorsque j’ai découvert l’affiche du film de Schräder, Mishima, qui retrace les derniers jours de l’écrivain qui a fini par se faire le seppuku rituel après une tentative de coup d’Etat larvé… A moins que ce soit à la Fac où je prenais des cours de Japonais… Je dois me résoudre à une évidence : je suis bien incapable de savoir quand a réellement commencé le projet ni comment… J’ai convoqué trop de particules en suspension dans ma mémoire pour invoquer un quelconque déterminisme.

Le drame
Résumer l’histoire de La mécanique des geishas n’est pas chose aisée. La quatrième de couverture en fut justement le plus gros écueil. Comment dire sans trahir ? Comment susciter le désir d’entrer dans l’histoire, tout en respectant le lecteur ? Au sujet de ce roman, chaque projet de quatrième de couverture s’est soldé par une impasse. A s’efforcer de résumer sans trahir les faux semblants des premiers chapitres, tout semblait fade, insipide, et restait d’une banalité mortelle. Agacé, j’ai fini par lancer en guise de boutade à mon éditrice, l’idée farfelue mais qui me trottait dans la tête depuis des mois : écrire une recette pour mettre l’eau à la bouche au lecteur. Sa réponse fut aussitôt : « Chiche ». Immédiatement, je l’ai rédigée et elle a été actée dans la foulée. La recette des sashimis est un clin d’œil mais si l’on y prête attention, à travers tous les ingrédients et la manière de les accommoder, tout y est, autant l’humour que le côté décalé, le versant japonisant de l’intrigue que le décor… Je peux pourtant m’employer à donner certaines pistes de travail qui étayeront l’envie au lecteur. On y parle du seppuku, plus connu sous le terme hara-kiri. Il est donc question de ventre, d’organes, de sensations liées au for intérieur. Il est évidemment question du Japon, de sa culture, autant ancestrale que moderne. C’est un va et vient entre cette culture et le décor que j’ai planté en France, principalement dans le Nord et Paris. Et évidemment, c’est un roman noir. Par voie de conséquence, l’intrigue suit une enquête autour de meurtres…

L’objet-livre
A ce sujet, il est important de mettre en avant l’apport de mon éditrice, Catherine Costanza, et sa manière d’aborder chaque texte qu’elle édite aux Editions Edd Strapontins . Il y a le roman en soit, mais il y a aussi l’objet livre. Je suis très attaché à l’art graphique, et La mécanique des geishas, en tant qu’objet, est une merveille. Le boulot fait par mon éditrice autour de ce livre est exceptionnel. Il y a d’abord cette couverture énigmatique qui colle parfaitement à l’histoire, qui est l’œuvre d’une peintre allemande de Hambourg, Moki . Alors même que j’écrivais le livre, je m’imaginais introduire des illustrations comme des ex-libris ou des vignettes. Pas pour racoler, mais bien parce que l’histoire gravite autour des images, de la peinture, de la photographie, de la bande-dessinées. C’était plus de l’ordre du fantasme et pourtant, sans même nous concerter, cette mise en forme est apparue comme une évidence pour mon éditrice. La surprise a donc été de taille lorsque j’ai découvert la version PDF du livre, avec au détour des chapitres, des œuvres d’un photographe Japonais Maruyama Shinichi . Logiquement, ses photos ne sont pas convoquées par hasard. Il y a le thème de l’eau, important dans l’intrigue, et évidemment la dualité du noir et du blanc, qui ne cesse de s’entremêler, s’entrechoquer, à travers des personnages qui ne cessent d’osciller entre ombre et lumière.

(illustration: série kusho _ Maruyama Shinichi)

Ecrire
Ecrire, pour ma part, est une obsession. Obsession des mots, des formes, des images, de la musicalité, du langage et de la pensée. Je lis peu, volontairement, ce qui me frustre énormément, alors je compense en compulsant. Je lis en travers le plus souvent, je prends un bouquin, lis quelques chapitres et laisse macérer. Essentiellement des classiques, Céline, Arrabal, W. S. Burroughs… Parfois des modernes. Pendant cette période, il m’est impossible d’écrire une ligne. Dernièrement j’ai compulsé le Sursis de Sartre, que j’avais lu adolescent, pour redécouvrir certaines formes littéraires qui s’apparentent à un montage cinématographiques, que je voulais exploiter dans mon prochain roman. Pour compenser mes carences littéraires, je me nourris essentiellement d’images qu’elles soient picturales ou cinématographiques, même télévisuelles comme les séries. Ma manière d’aborder les scènes s’en ressent, autant sur l’idée de montage à travers la syntaxe qu’à travers une forme d’oralité, de pensée dans la progression. Mon travail hors des romans, n’y est pas étranger. J’ai une formation de filmologue et à ce titre, j’ai pas mal organisé de stage, fait des conférences et suis intervenu dans l’Education Nationale. Ce que j’en retire, c’est ce pouvoir hypnotique de l’image, sa faculté à être dans l’instant, dans le présent et à tenir en haleine le spectateur. Transformer ma théorie filmique en pratique à travers mes lignes, m’a été plus évidente. Ma syntaxe de ce fait, tient beaucoup du montage filmique dès lors que les choses s’emballent. De même, je me suis inspiré d’ambiance de certaines scènes de film, certaines clairement affirmées tels que Psychose d’Alfred Hitchcock, et d’autres plus en filigrane tel que Blue Velvet de David Lynch. Les apports visuels jouent un rôle important dans l’intrigue, les jeux de miroirs, les films mais aussi les musiques. A l’arrivé, le roman est devenu un creuset d’influences en tous genres, où plusieurs strates peuvent être explorées et qui permet d’appréhender l’intrigue sous différents angles.

(illustration: untitled _ Moki 2009)

Projets
Actuellement, j’ai deux livres en écriture. Le premier est celui qui est annoncé à la fin de La mécanique des geishas et qui a pour nom Romantic Asylum. Actuellement en phase de correction, j’espère qu’il verra le jour en 2013. L’intrigue du suivant se situe au Japon, un peu dans l’esprit du film de Sophia Coppola Lost in translation. Mais ceci est une autre histoire… Fabrice Vanneste

Mon avis

J’ai des goûts assez éclectiques en matière de littérature. Mais à priori rien ne m’aurait fait lire le livre de Fabrice Vanneste « La mécanique des Geishas ». Je ne connais pas grand-chose à la culture japonaise si ce n’est la grande maîtrise des sentiments des japonais, leur calme et leur discipline. Côté littérature les mangas n’ont jamais été ma tasse de thé (même si enfant j’ai adoré Albator et Goldorak !). Je connais quelques mots wasabi (ça pique ça non?) Hara-kiri (je crois que j'ai un jour vu un film avec une scène dans ce style ah!oui "Le dernier samouraï", beau film au passage). Bref tout ça pour dire que l’ouvrage de Fabrice Vanneste n’avait pas sa place dans ma bibliothèque. Mais je suis d’un naturel curieux et en lisant les commentaires de lecteurs, je me suis dit « allez pourquoi ne pas me lancer ? » Ce nouvel auteur semble avoir de l’audace, on dirait qu’il veut bousculer les conventions, ce serait dommage de passer à côté de quelque chose d’intéressant à cause d’idées un peu trop étriquées ! Donc me voici livre en main d’un côté, stylo et bloc note de l’autre. Je pars pour un long voyage que je redoute. Que vais-je découvrir, est-ce que ça va me plaire ? Sceptique, j’avale les phrases les unes après les autres, les pages défilent rapidement je note, je note, je note. Régulièrement, je pose le livre, je laisse mon esprit divaguer, vagabonder, absorber toutes ces informations, les synthétiser…

SENTIMENT GENERAL SUR LE FOND

Maintenant que la dernière page est tournée, il est temps de commenter ce que je viens de lire. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce livre ne laisse pas indifférent. J’irai même jusqu’à dire que ce roman mérite une deuxième lecture pour tout assimiler. « La mécanique des Geishas » est un livre dense, parfois éreintant. Le lecteur y retrouve toutes les composantes des polars avec un exotisme japonisant : violence, meurtres, sexe, rituels, alcool, clichés… Âmes sensibles s’abstenir ! Ce roman n’est pas à mettre entre toutes les mains si vous avez survécu au « Silence des agneaux » vous pouvez vous y plonger ! Sinon abstenez-vous à moins que vous ne soyez un peu kamikaze. Vos nuits risquent d’être peuplés d’images plus morbides les unes que les autres, insoutenables... A vous de choisir. Mais je sais que l’Homme à un côté un peu obscur qui aime braver l’interdit et se faire peur. Je suis sûre que vous n’y résisterez pas et que cette intrigue vous a déjà happée sournoisement, insidueusement.
Je ne reviens pas sur l'histoire l'auteur en parle très bien dans notre entretien: traque d'un tueur en série, manipulations angoisse le tout imprégné de la culture japonaise... Et... parfaitement imbriqué. Mais par contre j'ai envie de m'arrêter un instant sur la focalisation interne du roman (point de vue). L'auteur ne se contente pas de nous raconter ce que voit le personnage principal, nous sommes, nous lecteurs, témoins de ses réflexions, de ses hésitations, de ses craintes et cauchemars les plus terribles. Son regard devient le nôtre. Oppressant, dérangeant. De lecteur nous devenons avec une aisance toute particulière des voyeurs. Voyeurs de ses pensées les plus personnelles, de son intimité. Et pourtant nous continuons à lire, nous voulons savoir. Nous participons à la « valse de sentiments-duels » qui perturbent ce personnage (p.146). Le lecteur vit les mêmes sentiments. Si l’on ne veut pas perdre une part de soi, et garder le contrôle, à mon sens, il est primordial de ne pas dévorer d’une traite ce roman. Sinon le lecteur se retrouve vite essoufflé, dépassé comme cet étrange individu qui nous guide sans révéler son identité depuis le début de l'intrigue nous perdons notre chemin, nos priorités nous nous égarons et nous oublions l’essentiel. Personnellement, j’ai eu besoin de laisser poser cette histoire, de laisser la multitude d’informations, de détails, de non-dits, de réflexions personnelles se distiller, voir instiller mon cerveau, lentement. Le tueur laisse bien reposer ses victimes avant de les dépecer alors pourquoi ne pas laisser les éléments de l’histoire poser et mûrir notre esprit pour être prêts à accepter la suite de cette poursuite contre la montre, contre la mort ? En effet je préfère éviter que « mon crâne s’agresse comme s’il s’auto-mastiquait» (p.195).

LA FORME

Difficile de rendre le réalisme d’une traque sans tomber dans du déjà vu. Fabrice Vanneste marque de son empreinte, un style très personnel: rapide, précis, cynique, déjanté, obsessionnel. Nous nous délectons d’un florilège d’images : « mon mal de crâne s’envole comme une hyperbole » (p.195). L’ensemble est très détaillé, nous sommes à la limite de l’écriture de scénario. Tout y passe. Il se donne à fond pour toucher ses lecteurs. Fabrice Vanneste y met toutes ses tripes (c’est le cas de le dire sans mauvais jeu de mots !). Solidement étayé d’une grande connaissance du folklore japonais, cette histoire est tout sauf abracadabrantesque. L’horreur qui y est décrite est tout à fait crédible. Le réel est parfois bien pire malheureusement ! Au rythme des phrases courtes, haletantes, le lecteur perd lui aussi haleine à suivre ce mystérieux observateur qui est devenue malgré lui la marionnette d’un homme retors, vengeur, sadique, assassin… Le stress nous étreint, nous éreinte au même titre que le héros. A l’instar de ce dernier nous sommes devenus nous aussi la marionnette du tueur en série! Alors que je notais quelques réflexions je me suis fait peur. Le personnage principal aussi note de façon compulsive sur son bloc tout ce qu’il voit tout ce qu’il fait, comme moi. Le livre commencerait-il à prendre le contrôle de mon esprit ? Sans doute un effet secondaire de cette histoire. Je note : « penser à demander à l’auteur comment dissiper les effets indésirables ! » Fabrice Vanneste n’y va pas avec le « dos de la cuillère ». Tout y passe sur l’intimité féminine, à croire qu’il a un jour été femme ou qu’il est très bien renseigné! L’auteur a effectué un gros travail de recherche sur les rituels japonais, sur l’art et la culture de ce pays. Solidement conseillé sans doute sur l’aspect médical, il réussit à nous faire entrer de façon crédible, réaliste dans son histoire, à capter l’attention du plus récalcitrant ce qui je dois bien l’avouer était ma position première. Son histoire tient debout, sans doute parce qu’il met une grande part de lui-même à travers son personnage. C’est l’avantage de tout écrivain de pouvoir se glisser dans la peau d’un caméléon et de se projeter et se sentir quelqu’un d’autre, sans l’être réellement. Rien de plus facile alors de faire tomber les tabous et de se livrer sous un masque. Masque, maquillage, geisha, haïku, le décor est planté. L’écriture permet de tout oser avec du talent rien n’est impossible. Fabrice Vanneste m’a dit un jour qu’il alternait par moments l’hystérie et la provocation. C’est son audace qui lui permet de sortir du lot et de donner toute sa force à ce roman. A déguster avec gourmandise! Une chose est sûre, je ne regarderai plus mon boucher de la même manière…

Paroles de lecteur

Réflexion à chaud: L'objet livre est vraiment magnifique une belle réussite qui attire le regard et attise le désir de l'acquérir. Le contenu ne déçoit pas non plus et n'est pas à mettre entre toutes les mains. Seuls ceux qui ont un esprit ouvert et un coeur bien accroché (âmes sensibles s'abstenir!) pourront l'apprécier je dirai même le déguster à sa juste valeur. Ce polar noir n'entre dans aucun modèle connu. Déroutant, inquiétant, perturbant. La peur au ventre le lecteur destabilisé et pourtant accro continue à "dévorer" ce livre si particulier qui vous emporte dans un tourbillon malgré vous... Et le prochain "Romantic Asylum" semble tout aussi prometteur...

Site de l'éditeur

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire